Étape phare du développement moteur, aboutissement de longs efforts du bébé qui a passé des mois à tenter de s’extraire de la pesanteur, se retourner, se repousser, le quatre pattes peut sembler anodin : « juste » un stade locomoteur avant la marche, considérée parfois comme le seul déplacement valable !
S’il a eu la chance de ramper, le quatre pattes lui offre un surcroît de légèreté : il peut à toute vitesse parcourir beaucoup d’espace (au grand dam de ses parents !).
Parfois le tout-petit continue le quatre pattes après la maîtrise du déplacement bipède. Parfois encore il saute le « schème controlatéral » (terme employé en analyse du mouvement), se met debout et revient plus tard au sol. Peut-être un signe que ce schème a une certaine valeur, et que ne pas y passer du tout peut laisser un manque source de futurs problèmes d’apprentissage, d’attention, de coordination.
Quel rôle joue-t-elle dans la construction de la motricité fine et globale, de la coordination oeil-main indispensable pour la faculté future à lire et écrire ? C’est ce que nous explique Eliza Parker, Spécialiste du développement du nourrisson, et Auteure du blog anglophone Conscious Baby.
La marche à quatre pattes est-elle si importante ?
Elle est de la plus haute importance !
À quel âge elle commence ? Vers 7, 8, ou 9 mois. Et elle peut durer… en fait, peu importe combien de temps elle dure !
Si votre bébé marche à quatre pattes, regardez comment il s’y prend. Mieux, essayez par vous-même ! Observez précisément : quel membre bouge en premier ? Quelle partie du corps bouge ensuite ?
Qu’est-ce qui rend la marche à quatre pattes si précieuse ?
Le développement du cerveau : la magie des enchevêtrements
- La marche à quatre pattes implique que les membres des côtés opposés bougent ensemble (contrairement au ramper sur le ventre, qui engage le bras et la jambe du même côté). On parle de schème controlatéral ou croisé. Observez comment le mouvement voyage en diagonale à travers le corps alors que le bébé cherche à aller vers l’avant avec une main, et que la jambe du côté opposé suit.
- Qu’est-ce que cela signifie ? (c’est passionnant !) Vous avez sûrement entendu parler des hémisphères cérébraux. Entre ces hémisphères, il y a une voie neurale très importante : un faisceau de fibres nerveuses, le corps calleux. L’enchevêtrement des mouvements dans le corps soutient l’enchevêtrement des informations dans le cerveau. Ce qui signifie que la marche à quatre pattes contribue au développement de ce faisceau de nerfs qui permet aux hémisphères cérébraux du bébé de communiquer l’un avec l’autre.
- Dans La Gymnastique des Neurones – Le cerveau et l’apprentissage, le Dr Carla Hannaford explique : « Les mouvements controlatéraux, comme la marche à quatre pattes, activent les deux hémisphères à parts égales. Ces activités font travailler tout autant les deux moitiés du corps, et induisent une coordination motrice des deux yeux, des deux oreilles, des deux mains et des deux pieds, ainsi que de la musculature de l’axe central. Lorsque les deux yeux, les deux oreilles, les deux mains et les deux pieds sont mobilisés tout autant, le corps calleux qui orchestre ces processus entre les deux hémisphères se développe plus pleinement. Comme les deux hémisphères et les quatre lobes sont activés, la fonction cognitive est améliorée et l’apprentissage devient plus facile. » (p 81)
La marche à quatre pattes est le point culminant de tous les stades moteurs précédents !
Si votre nourrisson a eu un développement typique, vous l’avez probablement vu faire :
- Un mouvement spinal, de la tête au coccyx : bébé roule pour se retourner
- Des mouvements haut-bas : bébé pousse sur les deux bras en même temps pour soulever sa tête, ou donne des coups de pieds avec les deux jambes.
- Des mouvements côté-côté : il prend appui sur un coude tout en jouant, ou rampe sur le ventre. Ses mouvements coordonnent le bras et la jambe du même côté.
- Qu’est-ce qui se passe quand vous combinez les mouvements haut-bas et côté-côté ? Sans parler de l’axe tête-coccyx ? Vous pouvez les associer et bouger en diagonale (en croisant les côtés), ou avec n’importe quelle coordination. En gros, vous pouvez bougez comme vous voulez, en 3 dimensions !
Le quatre pattes apprend à la colonne vertébrale à tourner (pivoter)
Il stimule la capacité à croiser la ligne médiane
(à bouger un membre vers le côté opposé du corps). Cette faculté est cruciale pour l’intégration des réflexes, l’activité quotidienne, la vue, l’ouïe et l’apprentissage.
Il prépare les hanches à la station debout et à la marche
Il aide à organiser et à former les cotyles des hanches. Pour plus de détails, consultez cet article de Keith Mankin (en Anglais), dont voici un extrait : « L’activité musculaire confère aux hanches une nouvelle structure. Tandis que les hanches se reforment, étant tirées vers l’intérieur et vers l’avant par l’action des muscles, elles se renforcent et leur nouvelle position leur permet de soulever le corps et de commencer à le propulser vers l’avant. Et finalement, ces changements fonctionnels conduisent à plus de force et d’équilibre, ce qui élève l’enfant vers la station debout et la marche. »
Il renforce les lombaires (et tout le torse) pour préparer à la station debout
Il prépare les chevilles à soutenir tout le poids du corps du bébé
Il instaure la coordination œil-main
Il prépare à la lecture
Toute cette intégration des hémisphères cérébraux, des réflexes, de la coordination croisée œil-main, et de l’ensemble du corps agit sur la lecture… une fois, j’ai reçu une mère de 7 enfants qui m’a raconté que ceux de ses enfants qui ont marché à quatre pattes étaient d’excellents lecteurs, tandis que les autres avaient du mal à lire.
Les variantes créatives ont-elle la même valeur que le quatre pattes ?
Certains bébés marchent « à quatre pattes » avec seulement un genou et un pied, ou se déplacent sur les fesses. Ces bébés ont trouvé une solution intelligente pour se déplacer partout ! Cependant, ces adaptations peuvent en fait révéler des difficultés à coordonner les deux mains et les deux pieds (difficulté qui peut avoir de nombreuses causes). Cela peut les priver de certains bénéfices du quatre pattes. Si votre bébé a adopté ce style ‘créatif’, il existe des manières amusantes, bienveillantes et non-intrusives de l’y aider.
Pourtant, on entend parfois dire que le quatre pattes a peu d’importance ?
Si on dit ça, c’est simplement que le quatre pattes n’est pas si fréquent à notre époque – alors on en déduit que si les bébés ne le font pas, c’est que ce n’est pas si important. Certaines habitudes de parentage à la mode entravent cependant les réflexes et la motricité en général : par exemple, les sièges auto, trotteurs, transats, etc, qui immobilisent les nourrissons. Si les bébés sautent de plus en plus le stade du quatre pattes, c’est dû à ces facteurs – et pas au fait que le quatre pattes n’est pas important !
Citons à nouveau le Dr. Hannaford. “Nous savons depuis des années que les enfants qui sautent l’étape vitale du quatre pattes pourront avoir des difficultés d’apprentissage plus tard. Le quatre pattes, ou mouvement controlatéral, active le développement du corps calleux… Celui-ci à son tour contribue à la coopération des deux côtés du corps, notamment les bras, les jambes, les yeux (vision binoculaire) et les oreilles (audition binaurale). Grâce à une stimulation équilibrée, les sens sont plus pleinement en contact avec le milieu environnant et les deux côtés du corps peuvent bouger d’une manière plus intégrée, pour une action plus efficace. » (Smart Moves, p 100).
Il n’y a aucune urgence à se mettre debout et à marcher.
Le quatre pattes est essentiel. Laissez bébé marcher à quatre pattes aussi longtemps qu’il veut, sans le tenir par la main pour qu’il marche. Attendez qu’il décide de marcher de lui-même, et les bénéfices dureront toute sa vie ! Et laissez vous époustoufler par le quatre pattes le plus rapide que vous ne verrez jamais ! Ça vaut réellement la peine d’attendre.
D’ailleurs, ce schème locomoteur n’est pas seulement bénéfique aux bébés ! Il peut être excellent pour les enfants de tous âge, pour les adultes qui souhaitent résoudre un problème ou augmenter leur potentiel cérébral, et pour les gens qui ont des troubles moteurs ou qui ont eu un AVC. Allez-y, essayez !
Par Eliza Parker, Spécialiste du développement du nourrisson, Auteur du blog Conscious Baby.
Traduction Emeline Seyer, Praticienne somatique.
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Analyse forte intéressante !
🙂 Les fonctions que remplit ce simple mouvement continuent de m’étonner aussi !
Ping : L’importance du marcher à 4 pattes | Declik-apprentissage
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Analyse très complète sur le travail en chaines musculaires notamment!!!!
J’ai pour ma part très souvent remarqué dans ma pratique que chez pas mal d’ enfants ayant un retard de développement global , le fait de travailler les « fondations motrices » et de l’amener au 4 pattes déclenchait la diversification des sons dans les jours qui suivent……Pour résumer, ce mouvement croisé unique produit un véritable « feu d’artifice » au niveau des connexions neuronales……sans compter l’impact non négligeable sur la confiance en soi des enfants qui arrivent ainsi à la marche de façon très autonome et sécure!!!!
Bonjour,
Je trouve ce sujet passionnant, je travaille moi même avec des bébés en kinésithérapie.
Je recherche des « preuves scientifiques » qui pourraient appuyer tout cela, sur l’importance du 4 pattes, parce que le monde médical ne se base que sur ça, et malheureusement, pour l’instant c’est loin d’être acquis.
Avez-vous trouvé des choses concrètes pour faire avancer les choses?
Par ailleurs, quand vous écrivez :
« La marche à quatre pattes implique que les membres des côtés opposés bougent ensemble (contrairement au ramper sur le ventre, qui engage le bras et la jambe du même côté). »
je ne suis pas d’accord. Bien sur, le rampé peut être sous pleins de formes différentes (utilisation uniquement des bras, ou que d’un côté), mais les bébés qui n’ont pas de soucis avec leur motricité, pas de tension, finissent pas faire un rampé à la « militaire », qui utilise le même fonctionnement que le 4 pattes!
En tout cas merci pour ce beau site, que je n’ai pas fini de parcourir!
Bonjour Fanny et merci 🙂
C’est sûrement une question de lecture du geste pas si facile à nuancer par écrit. Le ramper commence par être effectué de façon homolatérale : le bébé pousse sur le pied. C’est cette poussée qui traverse tout le côté du corps et qui provoque le déplacement -avec le bras du même côté qui s’étend.
Puis à mesure qu’il mature, et s’éloigne de plus en plus du sol pour aller vers le 4 pattes, l’amorce du mouvement part du bras, de l’envie d’aller en avant, pour attraper un jouet par exemple. Et le mouvement voyage alors différemment dans le corps, en croisé.
De même quand le bébé démarre le 4 pattes, il va le faire de façon plus grossière au départ, puis de plus en plus raffinée à mesure qu’il gagne en coordination.
Je le vois comme un apprivoisement et une maîtrise progressive de chaque étape…
Quant aux recherches scientifiques, la plupart des méthodes somatiques ont d’abord fait les recherches de façon expérientielle, maintenant il faudrait que la science « prouve » ce que leurs patients ont « éprouvé » il y a des années ! Les avancées en neurosciences nous révèlent de plus en plus de miracles sur les liens cerveau/corps/esprit/émotions et j’ai hâte d’en lire plus sur les liens entre les étapes du développement moteur et l’apprentissage, cela ne saurait tarder ! Il me manque néanmoins la source des recherches de Carla Hannaford.
Bonjour,
Votre article est intéressant. Pourriez vous préciser ce qu’est un praticien en éducation somatique et quelle(s) formations(s) vous avez suivie(s) pour le devenir ?
Bien cordialement
L’intitulé éducation somatique réunit plusieurs méthodes dont le point commun est d’amener un mieux-être, une amélioration de la fluidité gestuelle et de la dynamique posturale, une réduction du stress, une meilleure connaissance de soi. Toutes ces méthodes partent du corps et invitent la personne à prendre conscience de ses sensations et perceptions, de ses habitudes gestuelles et posturales. Le terme somatique vient du Grec soma « le corps », et désigne un corps vécu et sujet, plus qu’un corps mécanique objet ! La personne est remise au centre du processus, et le praticien n’est pas là pour la guérir mais pour la guider dans sa découverte et sa (ré)appropriation de ses potentialités.
Quelques méthodes somatiques dont vous avez peut-être entendu le nom : le Body-Mind Centering, la méthode Feldenkrais, l’eutonie Gerda Alexander, la technique FM Alexander, la gymnastique holistique, le Pilates, le Laban-Bartenieff, l’Ideokinesis.
Pour ma part, je suis praticienne en Body-Mind Centering (formation de 1000 h sur 4 ans), consultante en Rhythmic Movement Training, et j’ai un DU en Techniques du Corps et Monde du Soin (Université Paris 8)
Vous trouverez plus d’articles et de références sur mon tableau Pinterest sur l’Education Somatique
Bonjour, vous dites » Si votre bébé a adopté ce style ‘créatif’, il existe des manières amusantes, bienveillantes et non-intrusives de l’y aider ». Pouvez-vous nous préciser comment, et à quel moment le faire, svp ?
Quelles sont ces méthodes ludiques pour revenir vers le 4 pattes quand un enfant (11 mois) a trouvé un substitut et semble refuser toute proposition ?
Bonjour Pascale, quel substitut a-t-il/elle trouvé ? Et quelles sont les propositions qu’il/elle a refusé jusqu’ici ?
Marche sur les fesses, une jambe repliée l’autre tendue en prenant appui sur une seule main.
C’est un petit garçon dont je m’occupe en crèche. Nous Essayons de l’aider à trouver la position 4 pattes (appui genoux et mains), il déplie systématiquement sa jambe droite et rebascule sur ses fesses. La position 4 pattes ne lui plaît pas.
OK ! je suppose qu’il n’aimait pas tellement non plus la position allongé, avant de savoir s’asseoir ? Alors on va emprunter des chemins de traverse ! Il y aurait des jeux à proposer pour l’aider à sortir de cette position assise : comme aller avec lui dans un tunnel, ou sous des draps tendus assez bas pour qu’il ne puisse se déplacer assis, et de ce fait rampe sur le ventre ou marche à 4 pattes. Jouer à escalader ou à monter des petites marches (avec les blocs de motricité). Le mettre allongé sur le ventre sur un gros ballon de gym, en le tenant bien, et le bercer de gauche à droite, d’avant en arrière, tout doucement, pour apprivoiser les transferts de poids et les déséquilibres. Si vraiment il est insécure de quitter l’assise, alors jouer assis à « bateau sur l’eau » et se balancer de droite à gauche, les jambes pliées surtout – pas tendues devant lui! Et en laissant ses bras libres pour qu’il puisse utiliser ses mains pour s’appuyer s’il sent qu’il tombe (c’est un réflexe de protection très important pour se sentir en confiance à 4 pattes puis savoir se rattraper quand on apprend à marcher). Amusez-vous bien !
Bonjour, ma fille a raté cette étape et a maintenant deux ans et demi. Elle est tout à fait capable de marcher à 4 pattes si le contexte s’y prête en revanche elle sera sûrement moins rapide et moins à l’aise qu’un enfant qui l’a pratiqué bébé.
Est-ce que cela a du sens de lui refaire faire des exercices de mobilité favorisant le 4 pattes ? Si oui à quel point, sur quelle durée ? Qu’est-ce qui me permet de savoir que ce qu’elle n’a pas acquis à ce moment là, elle l’a enfin acquis ?
Merci d’avance