Est-ce que tu dis ou penses souvent « c’est pas grave » ?
C’est une expression banale n’est-ce pas?
Elle a l’air inoffensive comme ça.
Et pourtant, elle peut faire des ravages, selon le contexte et l’intention avec laquelle on l’utilise.
Elle a l’air inoffensive voire utile, parce qu’elle nous aide à relativiser, à mettre les choses en perspective.
Et dans certains cas, on en a besoin bien sûr!
Mais au fond, quel message véhicule cette expression ?
Que si c’est grave, on est légitime de réagir.
Dans le cas contraire, alors reprenons le dessus sur la situation et arrêtons d’en parler, d’y penser, d’en ressentir quoi que ce soit.
Tu as raté un plat que tu réussis super bien d’habitude, et tu es deg mais tes ami·es, tout en n’ayant pas l’air de se régaler plus que ça, te disent que c’est pas grave pour te rassurer -ou pour être poli·es (mais toi, tu le sais que c’est pas aussi bon que ce que tu peux faire!).
Tu as un petit accrochage en conduisant, tu as eu peur et ta voiture est rayée mais « ce n’est que du matériel, il ne faut pas en faire des caisses ».
À ces moments-là, ces phrases toutes faites n’aident pas à passer à autre chose (alors que c’est leur intention première).
Faisons cette petite expérience :
Remémore-toi une situation récente, ou imagine une situation où un imprévu survient.
Peut-être que tu fais parfaitement face à ce revirement de situation et que c’est complètement ok pour toi.
Ou peut-être que tu éprouves déception, irritation, contrariété
et que pour « te calmer », une personne témoin à qui tu te confies te répond des choses dans le registre de « c’est pas grave »,
« il ne faut pas en faire toute une histoire ».
Quand tu entends cela, que ressens-tu ?
Au niveau corporel ?
Au niveau émotionnel ?
Est-ce que ça crée du soulagement, de l’acceptation, de la connexion à l’instant présent ?
Si oui, garde ces pensées, super!
Si tu ressens plutôt un poids, de la déconnexion de toi-même, de la tension, c’est peut-être que penser « c’est pas grave » ne t’aide pas tant que ça.
Et c’est un peu logique puisque quand tu entends ou penses « c’est pas grave », tu minimises ton vrai ressenti.
En te convainquant que c’est pas grave, tu te coupes de toi-même.
Cela ne fait pas disparaître ton ressenti pour autant.
Une fois, à la rigueur, ça passe.
Là où ça devient problématique, c’est quand encore et encore, ce « c’est pas grave » te fait minimiser ce que tu ressens, touche par touche.
Jusqu’au jour où tu n’accordes plus d’importance du tout à tes sentiments véritables.
Et en te coupant des ressentis désagréables, tu éteins du même coup ta capacité à ressentir des émotions agréables :
Imagine une route traversant un village, imagine qu’on ne veuille plus que les voitures grises arrivent dans ce village et que pour cela, on décide de couper la route : les voitures vertes, bleues et rouges ne passeraient plus non plus!
Couper la tristesse, la colère et la déception, c’est donc aussi couper la joie, le plaisir, l’appréciation.
Dommage, non ?
Plus encore, empêcher les émotions d’être ressenties, ça a même tendance à les maintenir prisonnières de ton corps et à faire apparaître des douleurs inexplicables (voir le travail de Peter Levine et Alice Miller à ce sujet).
À force de te nier toi-même, tu peux aussi te retrouver figé·e, épuisé·e, incapable d’agir et d’avancer selon tes désirs.
Tu le vois le paradoxe : en ayant l’impression de contrôler, tu ne maîtrises rien de ce qui se passe en toi !
On a peur que les émotions prennent toute la place si on les écoute mais c’est tout le contraire.
C’est quand on ne les écoute pas qu’elles prennent toute la place.
Ce qu’on ignore s’amplifie et crie de plus en plus fort pour se faire entendre.
Ce qu’on écoute circule et se dissipe.

Mais QUI a décidé qu’il fallait que ce soit grave pour être autorisé·e à ressentir ou à chercher des solutions à une situation insatisfaisante ?
Chez beaucoup d’entre nous, l’éducation (traditionnelle) nous a abreuvé de « c’est pas grave » au motif que…
- il faut s’endurcir
- il est bon de se couper des sentiments et de tout ce qui vient du corps et se contrôler à la force de son cerveau si on veut devenir un vrai humain et pas un animal (merci la pensée judéo-chrétienne).
- il faut être poli·e et agréable et ne pas se plaindre, afin de ne pas importuner notre entourage
- parler des émotions négatives revient à passer pour faible, à se rendre vulnérable… et revient à risquer notre place dans le groupe
- et comme culturellement, personne n’a appris à accueillir ses émotions, cet analphabétisme émotionnel se perpétue de génération en génération.
Le temps est venu de changer !
Ce que tu ressens compte.
Ce que tu éprouves est important.
Ce que tu ressens a du sens.
Ce que tu ressens est pertinent.
En développant une perception subtile et nuancée hors du champ considéré comme « grave », on peut s’écouter avec finesse et ajuster avec tout autant de finesse nos décisions et trajectoires de vie.
Parler la langue des ressentis émotionnels et corporels permet de:
- laisser ton émotion circuler au lieu de rester piégée en toi. La magie c’est que les émotions qu’on écoute circulent, se transforment, et que le fait de se mettre à leur écoute fait la place à un sentiment de sécurité, à la détente, à une respiration plus ample.
- donc de créer de l’espace pour des ressentis agréables
d’être plus connectée à l’instant présent (tu rumines moins sur les situations passées et tu as moins d’anxiété et d’anticipation des événements futurs) - d’être plus connectée à toi et à tes besoins profonds
de prendre des décisions ou de poser des actions qui répondent à tes besoins, - de cesser de projeter tes besoins et tes ressentis sur le monde extérieur ou sur les autres
- d’avoir moins besoin de contrôler les autres pour te sentir bien : tu sais à présent que le bien-être véritable se trouve à l’intérieur et que TU as la clé
Si tu es face à des émotions persistantes, envahissantes, submergeantes, ne reste pas seul·e avec elles. Rapproche-toi d’une personne ressource qui saura t’écouter avec délicatesse et t’aidera à alchimiser les ressentis pesants.
Photo de CHUTTERSNAP sur Unsplash
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